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Mary Bisenti

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La ballerine en tutu noir

Série : Les secrets de Carmen Blackbird

Mary Bisenti

Roman

ISBN : 979-10-94895-19-1

Extrait


Chapitre I

Carmen

  En cette belle journée du mois de mai, Carmen Blackbird était particulièrement heureuse. C'était le 1er mai. Un de ces jours de fête, qu'elle appréciait par-dessus tout. Une fois par an, elle pouvait régner sans partage, dans les locaux de son unique paradis sur terre, l’institut médico-légal. Jour béni par excellence, sans assistant, sans pression, sans sonneries de téléphone, sans le va et vient de cet horrible inspecteur Amadeus.

  Lorsqu'elle était encore étudiante, Carmen Blackbird détestait les jours fériés, ces fêtes à dates fixes qui l'éloignaient de son univers aseptisé et il faut bien le dire quelque peu morbide. Mais une fois son diplôme de médecin légiste en poche, Carmen Blackbird se mit à les attendre avec impatience.

  Je ne dirais pas que Carmen Blackbird était totalement misogyne, je dirais plutôt, qu'elle avait beaucoup plus d'empathie envers les morts que les vivants. Sa vocation, si l'on peut appeler vocation, son besoin de fréquenter les disparus, se manifesta dès sa plus tendre enfance.

  Tout commença avec sa chatte, Mistouflette, brave chatte qui termina ses jours par inadvertance sous les roues de la voiture familiale. Carmen organisa son enterrement avec sérieux et une profonde tendresse envers cette chère amie. De ce jour, elle attendit l'Evénement qui devait bouleverser sa vie. S'ensuivirent les enterrements, du raton laveur, du poisson rouge, de la tortue d'eau douce, du chien bicolore... enfin toute la ménagerie qui l'accompagna tout au long de son enfance et de son adolescence. Malheureusement, malgré toute sa bonne volonté à rendre hommage à toute cette engeance animale, l'Evénement tant espéré, ne se produisit jamais !

  Son père avait tendance à mettre son doigt sur la tempe en parlant d'elle. Sa mère, plus intuitive, la laissait exprimer son chagrin, tout en étant intriguée par ces cérémonies à répétitions. Quant à ses camarades d'école, elles assistèrent aux premières, mais délaissèrent les suivantes et finirent par l'ignorer. Carmen Blackbird passa pour une sentimentale, puis une originale et enfin pour une foldingue.

  Un jour sa mère finit par se hasarder à lui demander la raison de son désespoir.

– Carmen qu'espères-tu ?

– Un signe.

– Mais de quel signe parles-tu ?

– Mais un signe de vie de l'autre côté maman !

– Voyons, sois raisonnable. Il n'y a rien de l'autre côté ma chérie.

– Maman, tu es trop réaliste. Tu penses comme la majorité des gens que tout s'arrête, une fois la fin venue. Tu te trompes. Nous passons notre temps à aller et venir tout simplement.

– Qui t'a raconté ces fadaises ?

– Ce ne sont pas des fadaises. En réalité, nous passons un certain temps sur terre, un autre en méditation et nous revenons.

– Admettons, je n'ai pas remarqué que la chatte, le raton laveur, le poisson rouge, la tortue d'eau douce et toute la ménagerie dont tu tapisses le jardin gambadent à nouveau.

  Carmen rit de l'incrédulité de sa mère.

– Ai-je dit une bêtise ?

– Le poisson et la tortue ne pourront jamais gambader. Tu es vraiment drôle. Je ne m'attends pas à ce qu'ils gambadent, mais ils devraient pouvoir communiquer avec moi.

  C'était déjà un point d'acquis, sa fille savait encore faire la différence entre des nageoires et quatre pattes. Concernant la tortue, mettons-la de côté pour l'instant.

– Par contre, je pense que tu viens de soulever un point crucial.

– Lequel ? Demanda la mère navrée.

– Je dois plutôt attendre ces signes des humains. Etant moi-même un bipède seul un bipède pourrait entrer en contact avec moi.

– Si cela devait arriver, qu’attends-tu de ce contact ?

– Pour l’instant, je n’en ai pas la moindre idée. Mais je sais que je dois persister à attendre un signe, du moins j’en ai la conviction.

  C'est ainsi que Carmen Blackbird, pour atteindre son but, choisit tout naturellement la médecine. Les vivants étant le moindre de ses soucis, elle devint médecin légiste.

  Mais revenons à sa préoccupation de ce 1er mai. La veille une jeune femme s'était aventurée dans les bois. Mal lui en pris, elle fut attaquée par-derrière, presque décalottée, à moitié déshabillée enfin laissée au frimas de la nuit. Carmen détestait la violence inutile, le sagouin qui avait matraqué cette pauvre fille n'allait pas tarder à le découvrir.

  Carmen Blackbird était doublement en colère. Réveillé en pleine nuit, à moitié endormie supporter cet ignoble inspecteur Amadeus, les projecteurs, les badauds morbides et l'odeur des feuilles gorgées de sang, s'en étaient trop pour un jour de fête ! Si la jeune fille n'avait pas eu ce regard de biche traquée, Carmen aurait décliné son autopsie. Pourtant, Carmen aurait dû se douter, que le jour tant attendu de l'Evénement était enfin arrivé.

***

Olga Puchkov

  Carmen Blackbird avait pour habitude de se vêtir selon les origines de la victime à autopsier. Aussi ce matin-là, se pavanait-elle en poupée russe, pour rendre hommage à Olga Puchkov. Le rituel avant toutes les autopsies était toujours le même. Carmen saluait tout son petit monde, avant de se servir un verre et compléter sa tenue d'un chapeau assorti à son costume. Ce jour-là ce fut une chapka. D’après ses déductions, Olga devait être russe.

  Boire un petit verre à la santé de la victime était un hommage à sa vie passée. Dans le cas d'Olga Puchkov, la vodka lui semblait approprier. Lorsqu'elle avait le nom du cadavre, elle éditait les informations qu’elle glanait sur le net : les articles le concernant, les infos sur sa page Facebook, les commentaires sur son blogue etc… Elle traquait les moindres indices qui pourraient expliquer sa fin tragique. N’était-il pas préférable de connaître ses amis, avant de les inviter à sa table ? Prudente, elle ne faisait jamais appel à l’inspecteur Amadeus, trop cartésien à son goût, pour tous ces petits détails.

  Vous vous demandez, pourquoi un tel souci des détails ? Carmen menait sa propre enquête. Ce n’était pas des interrogatoires policiers classiques, nous dirions plutôt une conversation à bâtons rompus, dont les questions-réponses n’avaient qu’un seul interlocuteur : Carmen. Quand un inconnu atterrissait sur la table, elle improvisait. Car Carmen Blackbird voulait que justice soit faites en toutes circonstances.

  Selon elle, le dialogue unilatéral avait une double utilité : permettre à la victime de ne subir aucun traumatise supplémentaire et également lui donner le moyen de réfléchir à voix haute. Elle savait parfaitement, que Maxence Popof, son assistant absent en ce 1er mai, avait tendance à la prendre pour une gentille cinglée. D'ailleurs, il ne se privait pas pour le lui faire comprendre ! Qu’importe son opinion, Carmen accumulait les indices.

– Mademoiselle Blackbird, il est mort ! Pourquoi lui parlez-vous ?

– Quand vous allez chez le dentiste, il vous explique ce qu'il va vous faire Popof. Nous nous devons d’informer la victime de nos faits et gestes, mais n’oubliez pas, toujours en douceur. La mort est un traumatisme lorsqu'on ne s'y attend pas.

– Mademoiselle Blackbird même quand on s'y attend !

– Ne soyez pas pessimiste. Ce n'est qu'un passage. Un univers plus clément est à notre portée Popof.

– Ok, je dois lui signaler qu'il n'a plus de zézette pour son passage ?

– Je vous ai dit, de le rassurer pas de lui faire de la peine.

– Laissons tomber pour la zézette. Je peux lui confirmer qu'il lui manque un bras.

– Popof, taisez-vous et mettez la musique en sourdine, je vous prie. Merci.

Eh oui, Carmen Blackbird travaillait en musique. Pour Olga Puchkov, elle choisit une de ses sambas préférées. Concernant la musique, ses goûts allaient aux musiques entraînantes. Croyez-vous que le fait qu'elle s'appelle Carmen, soit un des facteurs d'influence sur ses choix musicaux ? Détrompez-vous, mademoiselle Blackbird était la digne fille d'une mère fanatique d'opéra, dont le préféré était Carmen de Bizet à sa naissance, tout simplement !

Se balançant en cadence au rythme des instruments, Carmen Blackbird disséquait, discourait, expliquait, s'excusait, rassurait son patient inerte à jamais. Pour finir, elle lui assurait une paix éternelle quel que soit son méfait dans ce monde. Cependant, elle était moins charitable envers les meurtriers, pour un temps, devenus victimes. Car pour atterrir entre les mains agiles de Carmen Blackbird, il fallait avoir le statut de victime.

Une fois son rituel accompli, Carmen alla chercher Olga Puchkov, l’installa sur la table à disséquer et lui mit un coussin sous la tête. Avec délicatesse, elle essaya d’étaler ses cheveux longs et soyeux autour de son visage. Travail difficile en soi, car Olga Puchkov avait de multiples caillots de sang collés à son cuir chevelu. Décidée à redonner visage humain à la victime, Carmen se saisit d’une brosse et tenta de démêler ses boucles blondes. C’est alors que l’Evénement tant attendu se produisit.

– Arrêtez de me tirer les cheveux. Coupez cette musique, j’ai mal au crâne ! D’abord qui êtes-vous ?

  Machinalement Carmen répondit.

– Carmen. Je m’appelle Blackbird Carmen. Et s’évanouit à sa grande honte.

  Une voix lui parvint de loin, très loin.

– Oh, Oh, Carmen. Tu la coupes cette musique que nous puissions bavarder un peu.

  La seule réponse qui lui vint à l’esprit, en ce moment de désarroi.

– C’est une samba, c’est plus gai qu’une rumba.

– Possible, mais j’ai très mal à la tête et je ne suis pas fanatique de ce genre de musique.

S’attaquer à ses goûts musicaux suffit à lui redonner le sens des réalités. Carmen se releva furieuse, prête à remettre à sa place cette inconnue en costume de ballerine, nonchalamment assise sur la deuxième table de dissection.

– Qui vous a permis de rentrer ici ? Hurla Carmen en recouvrant d’un drap la dépouille d’Olga Puchkov.

– Je vous retourne la question, Miss Blackbird. Qu’est-ce que je fais ici ?

C’est à cet instant que Carmen Blackbird comprit que l’Evénement venez d’avoir lieu.

– Oh Mon Dieu. Vous êtes Olga Puchkov ?

– Bien sûr que non. Je suis sa siamoise. Evidemment, que je suis Olga Puchkov. Répondez à ma question où sommes-nous ?

Carmen n’eut pas le temps d’expliquer la situation à Olga. Des pas résonnèrent dans le couloir et la porte de la salle de dissection s’ouvrit. L’inspecteur Amadeus fit son entrée, comme à l’accoutumé en vociférant.

– Blackbird, vous avez du nouveau concernant la donzelle de cette nuit ?

– Inspecteur Amadeus, veuillez sortir immédiatement de cette salle.

Sans tenir compte de son injonction, l’inspecteur souleva le drap et eut un sifflement qui horripila Carmen.

– Mazette quelle beauté ! Dommage, un si beau brin de fille, j’en aurais bien fait mes week-ends. Alors, Carmen on me chante une petite histoire du genre : overdose, tapinage, racolage, jalousie, grande déprime…

  L’inspecteur Amadeus, ne put finir sa phrase. Carmen Blackbird, décidée à ménager Olga sur son proche passé, lui assena une gifle magistrale. Pour faire bonne mesure, elle lui assena un coup de poing au plexus, pour qu’il comprenne la leçon une fois pour toute. Elle en avait tellement rêvé, qu’elle y mit tout son cœur. On n’insultait pas impunément ses cadavres !

– Plutôt, tentative sur une femme sans défense, Inspecteur. Cet incident restera entre nous, si vous quittez immédiatement ces lieux.

  L’inspecteur reprenait difficilement son souffle. A cet instant, Carmen réalisa qu’il n’avait aucune notion de la présence de la ballerine, qui lui tournait autour en faisant des entrechats.

– Blackbird…

– Mademoiselle Blackbird, Inspecteur ! Hurla Carmen, les mains sur les hanches.

– Mademoiselle Blackbird, pourquoi me détestez-vous ?

– Pourquoi ! Parce que, vous êtes un mufle et un goujat. Parce que, vous n’avez aucun respect pour les victimes. D’ailleurs, vous n’avez aucun respect pour personne, Inspecteur.

– C’est faux Mademoiselle Blackbird. Je suis simplement devenu cynique, pour pouvoir supporter tout ce merdier, que je dois affronter jour après jour.

– Si c’est le cas, veuillez présenter vos excuses à Mademoiselle Olga Puchkov.

– Comment voulez-vous que je m’excuse, elle est morte !

– Morte ! Il a dit morte ! Cria Olga.

– C’est exact Inspecteur. Admettons qu’elle vous entende, présentez-lui vos excuses. Je suis certaine que vous irez beaucoup mieux après.

– Si cela peut vous faire plaisir Mademoiselle Blackbird, je vais le faire.

  C’était vraiment un jour mémorable pour Carmen Blackbird, l’Evénement de sa vie venait d’avoir lieu et l’inspecteur Amadeus présentait ses excuses à une femme. Morte peut être, mais une femme tout de même ! Quant à l’inspecteur, il quitta la pièce en espérant avoir enterré la hache de guerre avec Carmen Blackbird, pour un moment. Pour l’instant, le seul point qu’ils avaient en commun, était de travailler un 1er mai.

Après cet intermède, Olga Puchkov s’assit de nouveau sur la seconde table d’autopsie.

– Je suis désolée Olga. Apprendre ainsi votre décès n’est pas la meilleure façon de l’accepter.

– Mademoiselle Blackbird, avez-vous une formule-type pour une telle circonstance ? Du genre, un mec va soulever le drap qui vous recouvre et annoncer que vous êtes canon, mais morte. Ou à la place de « canon », l’overdose est son passe-temps favori, racoler une carrière pleine d’avenir. J’ai mieux : tapiner sans risque, caoutchouc fourni gratuitement, contactez Olga de 15 heures à 23 heures.

– Stop ! Il s’est excusé. Maintenant au moins, vous savez pourquoi vous êtes là. Vous avez constaté qu’il ne vous voit pas.

– J’ai compris place au vivant.

– Voyons, ne vous fâchez pas. Prenons le temps de découvrir, pourquoi on vous a tué ou plutôt éliminé.

– C’est le pourquoi ou le comment qui vous intéresse ? Dans votre métier le comment est la seule réponse que vous cherchez d’ordinaire.

– Pas moi. Je n’aurai de cesse de savoir pourquoi. Comment vous avez été assassiné, j’ai déjà ma petite idée.

– Voyons si vous êtes si forte, dites-moi comment.

– Une surdose de poudre dans une coupe de champagne, belle danseuse.

– Les blessures à la tête et au corps, c’est un bonus ?

– Une mise en scène.

– Concernant le pourquoi, vous avez aussi des réponses ?

– J’espérais que vous alliez me le dire.

– Je n’en ai aucune idée. Pour votre gouverne, je ne me suis jamais droguée.

– Ça je le sais aussi. Olga, pourquoi portez-vous un tutu de danseuse classique ?

– Probablement, parce que, lorsque, je me suis endormie hier, je pensais à mes premiers pas de danse au conservatoire.

– Vous n’avez aucun autre souvenir depuis hier ? A votre réveil à quoi pensiez-vous ?

– Réveil, c’est un euphémisme ! Disons mon passage. Non, je me souviens avoir bu une coupe de champagne avec cette fille et puis plus rien.

– Où avez-vous bu ce champagne ?

– Chez moi. La fille m’a proposé de me raccompagner après l’audition. Je l’ai invitée à prendre une coupe de champagne pour fêter mon nouveau contrat.

– Elle aussi a été engagée ?

– Probablement, en fait je ne m’en souviens pas. Si certainement, elle devait jouer avec les girls en arrière-plan.

– Et vous ?

– Devant. Le chanteur, deux filles à droite, deux filles à gauche.

– Vous vous rappelez le nom de cette fille ?

– Anaïs quelque chose.

– La connaissiez-vous depuis longtemps ?

– Depuis un an. Nous avons été engagées ensemble, pour la nouvelle revue.

– Il vous reste à me donner le nom de votre futur employeur et nous aurons probablement un des suspects de votre meurtre.

– Comment un des suspects ?

– Ils vous ont trouvé dans les bois, amochée. Vos agresseurs ont mis en scène une agression. Vous aviez des blessures post mortem. Vous ne pensez tout de même pas, que cette fille était seule dans le coup Olga.

– Je suis donc morte à mon insu, d’une overdose ? Le reste, c’est du cinéma !

– Exactement.

– Pourquoi aurait-on voulu me supprimer ? J’ai, du moins j’avais la vie la plus banale qui soit. Métro, boulot dodo, un petit copain, pas de famille. Décidément, on ne peut plus se fier à personne.

– Vous aviez un copain depuis combien de temps ?

– Environ deux semaines, trois avec les travaux d’approches. Pour faire bonne mesure, disons un mois.

– Deux, trois semaines ou un mois, soyez précise. C’est vous qui avez fait « les travaux d’approche » ?

– Absolument pas ! Je le connais depuis un mois. Nous sortions ensemble depuis deux semaines c’est suffisamment précis pour vous ?

– Oui. Avez-vous un nom à me communiquer ?

– Patrick Forman.

– Je résume, une certaine Anaïs vous a fait boire du champagne saupoudré de coke. Il y a un mois, vous avez rencontré un certain Patrick Forman, avec qui vous habitiez depuis deux semaines.

– Nous n’habitions pas encore ensemble. Nous sortions ensemble, nuance Miss Blackbird.

– Je rectifie, vous sortiez depuis deux semaines avec un certain Patrick Forman. Connaissiez-vous son adresse à ce prince charmant ?

– Vous devriez la trouver dans mon carnet d’adresses. Son téléphone doit être sur mon frigo.

– Comment avez-vous rencontré Patrick Forman ?

– Une boîte sur les champs. D’ailleurs, maintenant que vous m’y faites penser, c’est cette fille Anaïs qui me l’a présentée.

– Olga, je vais vous laisser vous reposer. Avec toutes ces informations, je dois pouvoir découvrir, pourquoi ils vous ont assassiné. Je repasserai en fin de soirée.

– Prenez votre temps, je ne bouge pas d’ici. Avant de partir, soyez gentille mettez la musique en sourdine. Un classique me conviendrait sans problème. Une dernière question, pourquoi êtes-vous habillée en poupée russe ?

– Pour vous rendre hommage Olga.

– Pas de chance, je suis Hongroise. Enlevez ce chapeau, il vous vieillit. La prochaine fois, mettez une toque de fourrure avec votre accoutrement, c’est plus fashion.

  Carmen Blackbird apprécia modérément les conseils d’Olga Puchkov. En fait, elle était surtout contrariée par la dernière information concernant les origines de la victime. D’après tous les articles et autres commentaires glanés sur le net, Olga prétendait être Russe. Obligée de constater que même les morts mentaient, Carmen quitta l’institut médico-légal, furieuse.

***

Conan Amadeus

  L’inspecteur Amadeus, après sa mésaventure à la morgue, rentra se réfugier dans son bureau de la P.J.* sans demander son reste. Il avait eu le béguin pour cette foldingue de Carmen Blackbird, depuis le premier jour de son arrivée à l’institut médico-légal. Nous dirions plus qu’un béguin, « le coup de foudre » avec un grand F. Il avait beau se raisonner, rien ni faisait, sa conviction était inébranlable, Carmen Blackbird était la femme de sa vie. Qu’importe son animosité envers lui, son dédain, son manque de considération, Conan Amadeus attendrait toute sa vie un signe de sa part, pour lui déclarer sa flamme. Car Conan Amadeus était un indécrottable sentimental, sous ses airs blasés et cyniques. L’appel de Carmen Blackbird lui demandant un rendez-vous lui fit espérer l’impensable. Enfin, ses espoirs allaient se réaliser !

– Inspecteur Amadeus, Carmen Blackbird.

– Oui. Mademoiselle Blackbird, je vous écoute.

– Avez-vous le temps de prendre un café avec moi ?

– Un café, un dîner, tout ce que vous voudrez !

– Un café sera suffisant. Rendez-vous en face de votre bureau au café Mozart. Disons dans dix minutes. Si vous avez un contretemps, je vous attendrai.

  Amadeus se frotta la joue pour effacer les dernières rougeurs. Inspira profondément, prit son revolver et sortit en sifflotant. Ce 1er mai serait un des plus beaux jours de sa vie ! Il était loin de se douter, qu’il serait le jour le plus long et le plus angoissant de toute son existence. Long et angoissant, qu’importe au fond, puisqu’il allait le passer avec Carmen Blackbird.

  Il ne l’avait jamais vu autrement que déguisée. Aussi eut-il du mal à la repérer au fond du café sous l’éclairage tamisé. Voyant son désarroi, Carmen leva le bras pour le guider jusqu’à sa table. Il ne s’était pas trompé, sous ses multiples déguisements, elle était bien la fille fragile qu’il avait imaginé. L’inspecteur Amadeus fondit de tendresse, quelle superbe nana sa Carmen. Il se jeta à l’eau avec panache.

– Mademoiselle Blackbird, je suis flatté, que vous m’ayez accordé ce rendez-vous.

– De quel rendez-vous parlez-vous Inspecteur Amadeus ? J’ai besoin de votre aide concernant Olga Puchkov.

  Qu’importe la raison, pour Conan Amadeus, c’était le rendez-vous tant attendu avec sa Carmen. Elle voulait un prétexte pour le rencontrer, allons-y pour Olga Puchkov.

– Que puis-je faire pour cette fille, Mademoiselle Blackbird ?

– Me remettre son carnet d’adresses, vérifier sa nationalité, me donner des informations sur un certain Patrick Forman.

– Je ne comprends pas votre demande. Qui est ce Patrick Forman ? Pourquoi voulez-vous son carnet d’adresses ? En quoi sa nationalité vous importe pour votre autopsie ?

  Carmen Blackbird se dit, qu’elle n’avait pas frappé à la bonne porte. Mais n’ayant aucune autre porte à qui toquer, ne pouvant plus reculer, elle se lança.

– Aimez-vous flâner Inspecteur Amadeus ?

– Modérément, mais avec vous je ferai le tour du monde à genoux.

  Peu habituée au marivaudage, Carmen, agacée, haussa les épaules, empoigna son sac et lui intima l’ordre de la suivre. Tout en se disant, que c’était un drôle de bonhomme, Carmen décida de lui confier son secret sur l’Evénement et en prime, lui parlait d’Olga Puchkov.

  De deux choses l’une, ou il la cataloguait définitivement comme folle, et c’était un moindre mal, ou il l’accompagnait dans sa quête de la vérité. Qu’importe sa réaction, Carmen était convaincue, qu’il fallait impliquer l’Inspecteur Amadeus dans cette histoire. Tout en marchant le long des quais de Seine, Carmen narra les derniers événements à l’inspecteur attentif à ses propos.

– Inspecteur, ce que je viens de vous confier, doit rester entre-nous. Vous devez comprendre, que quiconque vous entendra raconter cette histoire vous fera interner dans les 24 heures.

– Bien sûr, bien sûr. Mais vous Mademoiselle Blackbird, vous aussi on vous internera.

– Certainement pas. Je nierai toutes vos allégations Inspecteur Amadeus. Qui pourrait croire, qu’une scientifique admette qu’une telle chose soit possible ? Sans témoins, sans enregistrement, vous êtes bon pour la camisole de force et quelques années au cabanon.

– Vous m’avez piégé !

– Absolument pas. Je vous donne l’occasion de boucler cette enquête au plus vite. D’éviter peut-être une erreur judiciaire et qui sait par la suite d’être plus performant, si le phénomène se répète.

– Je n’ai pas le choix n’est-ce pas ?

– Vous avez le choix, de passer votre chemin et de vous taire ou de faire une alliance avec moi, pour le meilleur ou pour le pire. Si vous acceptez cette alliance, nous ferons un long chemin ensemble Inspecteur Amadeus. Pour vous la gloire, pour moi la satisfaction d’un travail accompli.

– Combien de temps me laissez-vous pour réfléchir ?

– Dix minutes. Si vous acceptez, nous allons de ce pas chercher le carnet d’adresses d’Olga Puchkov et visiter son appartement ensemble.

  La perspective de cheminer ensemble fit basculer Conan Amadeus dans l’inconnu. Les délires de Carmen Blackbird devinrent les siens. Qu’importe la gloire, pourvu qu’il soit à ses côtés. Si Amadeus ne conquit pas son cœur ce jour là, il acquit son estime.

– Attendez-moi ici, je repasse vous prendre.

– Inspecteur, désolée pour le chantage. Mais vous avez des moyens que je n’ai pas.

– Mademoiselle Blackbird, vous êtes une enfant de cœur en matière de chantage, j’ai vu pire.

  Euphorique, l’inspecteur Amadeus récupéra le carnet d’adresses, ainsi que les papiers d’identité d’Olga Puchkov et les clés de son appartement. Débarquer sur le lieu d’un crime demandait du doigté, inutile de se faire remarquer par les voisins.

– Montez Mademoiselle Blackbird. Quand nous arriverons chez Olga Puchkov, vous mettrez des gants et surtout vous ne toucherez à rien.

– Ne soyez pas si nerveux Inspecteur. Je recherche un numéro de téléphone et une adresse. Vous avez les clés de l’appartement ?

– Dans ma poche. Puis-je vous poser quelques questions ?

– Si c’est nécessaire.

– Pourquoi demandez-vous la nationalité d’Olga ?

– Sur Internet, elle prétend être Russe. Elle vient de me dire, qu’elle était d’origine hongroise.

– Vous avez raison de vous poser la question. Ses papiers sont des faux. Cette fille est chez nous depuis six ans, sous une fausse identité.

– Vous connaissez sa véritable identité ?

– Pour l’instant, nous attendons les informations d’Interpol. Si nous n’avons rien dans deux jours, je lancerai un appel à témoins pour l’identifier. Mais vous pourriez lui demander de faire un effort et d’avouer sa véritable identité.

– Je lui recommanderai de collaborer à vos efforts. Pour utiliser une fausse identité, il faut se sentir en danger. Qu’en pensez-vous Inspecteur ?

– Possible. Certains, c’est pour échapper à la justice.

  Carmen Blackbird pinça les lèvres. Supposer qu’Olga Puchkov soit une criminelle, c’était inimaginable. Carmen avait tranché, Olga était une victime des circonstances de la vie !

– Olga Puchkov est une victime Inspecteur.

– Si c’est vous qui le dites Mademoiselle Blackbird, c’est certainement le cas.

Trop heureux de véhiculer sa Carmen dans son carrosse, Conan Amadeus ne tenait pas à lui déplaire, avant que leur collaboration ne soit effective. D’autre part, Amadeus la soupçonnait d’être d’une grande naïveté. Qu’importe, il serait la protéger, des déceptions inévitables de l’apprenti détective.

***

– Nous sommes arrivés Mademoiselle Blackbird. Mettez vos gants, je vous prie.

– N’ayez crainte Conan, je serai sage.

Amadeus était sur un petit nuage. Elle l’avait appelé par son prénom. Que cette journée était enivrante. Carmen Blackbird à ses côtés, un Evénement plus qu’étrange, une victime inconnue, que demander de plus pour une idylle qui s’ébauchait ?

– Inspecteur, le numéro de téléphone de Patrick Forman a disparu. Regardez, il y a un vide entre ces deux magnets.

– Maintenant, nous savons que cet individu fait partie des suspects.

– Je fouille la chambre. Vous vous occupez du salon, Inspecteur ?

– Surtout, ne prenez rien.

Carmen acquiesça, mais ne se priva pas pour récupérer des photos, des lettres, un minuscule carnet avec des numéros.

– Conan, avez-vous remarqué qu’il manque une flûte à champagne ?

– Comment le savoir, Mademoiselle ? Nous ne savons pas combien il y en avait !

– Voyons, les verres s’achètent par paires, deux, quatre, six, huit ou douze. Il n’y en a que cinq. Si elle en avait six, il manque une flûte. Celle qui a servi à l’empoisonner. Nous devons faire les poubelles avant le passage des éboueurs.

– Qu’allons-nous dire à la concierge Mademoiselle Blackbird ?

– Rien Inspecteur, elle défile, c’est le 1er mai.

  Il y avait si longtemps qu’Amadeus n’avait plus fait les poubelles, que des souvenirs de ses premières enquêtes lui revinrent à l’esprit. Pas mal de déception et très peu d’indices en général. Mais si Carmen y tenait, pourquoi la contrarier.

– Franchement les gens sont dégoûtants. Ils pourraient mettre leurs ordures dans des sacs. A quoi sert le tri sélectif, si personne ne s’astreint à l’appliquer.

– Ne partons pas en guerre contre les récalcitrants, Mademoiselle Blackbird, le temps nous manque. Les voisins commencent à se poser des questions. Regardez aux fenêtres.

– Vous représentez l’ordre Conan. Ne laissez pas la populace vous impressionner !

– La voilà votre flûte ! Le jackpot, un tapis de salle de bains avec du vomi. Venez la moisson est terminée, partons.

Fin de l'extrait

***

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Droits d'auteur © Mary Bisenti, 2015

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